Je profite ainsi des longues siestes de Louis pour raconter les dernières nouvelles de ma vie d’expatriée.
Dans les épisodes précédents, j’expliquais que notre petite cabane sur Airbnb avait dû être retirée du site Internet parce qu’elle ne remplissait pas les critères de location touristique requis par la municipalité (le Council comme on l’appelle ici). Nous y avions entreposé un tas d’encombrants et laissé le lieu à l’abandon. Les fourmis ont vite colonisé la structure inhabitée. Des herbes folles se sont répandues sur le parterre en galets tout autour.
Et puis un soir, alors que nous évoquions une possible réorientation ou du moins un complément de revenu généré par d’éventuelles leçons de français, l’idée nous est venue que nous pourrions utiliser la cabane comme bureau. Simon pourrait s’isoler pour travailler sur ses sites internet et je pourrais y donner des leçons de français en personne ou en ligne. Et c’est ainsi que nous avons donné une seconde vie à notre petit nid de passage.
Au fur et à mesure que nous mettions de l'ordre dans la cabane, nous avons réalisé l'étendue des travaux. Il y avait au moins deux centimètres de fourmis mortes dans les coins et c’était sans avoir commencé le génocide. Elles avaient fait leurs nids partout, dans le toit et dans les murs. Nous avons donc dû arracher le toit. Les murs étant un assemblement de planches de bois dépareillées, la surface n’était pas lisse. Pour ne pas avoir à refaire les murs - ou autrement dit : pour ne pas tout détruire - Simon a posé du lino sur les murs. Je n’étais pas vraiment convaincue par ce choix mais je dois admettre que le résultat final est satisfaisant. Quatre murs : deux en lino gris et deux en lambris rouges. Niveau ameublement, Simon a construit un petit bureau sur mesure avec un ordinateur pour que chacun de nous puisse y travailler. Nous avons convenu d’y installer une chambre d’amis si besoin, avec un canapé lit et une table basse. Il ne manque maintenant plus que quelques tableaux sur les murs et des bibelots sur les étagères.
Après la levée des restrictions contre le Covid, l’épidémie a repris de plus belle en Australie. Simon avait dans l’idée que la cabane serait l’endroit parfait pour se confiner si l’un de nous était positif. C’était sans penser que Louis pouvait aussi avoir le Covid et que la personne non contaminée serait alors la personne qui devait s’isoler. Simon est donc parti faire l’ermite dans la cabane au fond du jardin. Je ne sais pas trop combien de temps il tiendra… (dernière mise à jour : il a tenu une nuit).
Moi je suis partie pour au moins sept jours à la maison. Finalement, c’est enfin l’occasion d’avancer dans un tout autre chantier (mais pas des moindres) : le jardin. Depuis cet été, il a rarement cessé de pleuvoir. D’ailleurs d’importantes inondations ont affecté la Nouvelle Galles du Sud et le Queensland. Avec les quelques éclaircies qui ont percé, ce n’est plus un jardin qui nous entoure mais une véritable jungle. Et qui dit jungle, dit animaux hostiles qui veulent nous ralentir dans notre chantier de débroussaillage. Alors voilà, il y a tout d’abord les fourmis, que j’ai évoquées plus haut. Il y a celles qui sont inoffensives lorsqu’elles sont solitaires mais qui agissent comme une armée redoutable lorsqu’on arrache une racine pile à l’endroit où se trouve leur fourmilière. Et puis il y a les bull ants (fourmis taureaux). Celles-ci pourraient sûrement tuer quelqu’un si la colonie entière attaquait. Une seule piqûre est déjà bien assez douloureuse. Il y a les tiques aussi, particulièrement présentent cette année. Je ne m’étendrai pas trop sur les paper wasps (guêpes papiers) qui apparemment sont encore plus venimeuses que leurs copines les bull ants. Je n’ai jamais été piquée, mais j’ai repéré cette année un grand nombre de nids qu’il a fallu détruire avant qu’ils ne deviennent trop menaçants. La grande gagnante de ma petite liste n’est pourtant pas la plus cruelle. En revanche, elle est fourbe et répugnante. Il s’agit… (roulement de tambour) de la sangsue ! Rien qu’écrire son nom me répugne. Pas plus tard qu’hier, j’en ai aperçu deux collées derrière le genou de Louis. J’ai tellement hurlé que Simon a déboulé tout affolé en pensant que quelque chose de dramatique arrivait. Malgré le petit risque d’infection, elles sont plutôt inoffensives. On les sent à peine mais quand on les aperçoit sur nous c’est tout un visionnage de film d’horreur qui se bouscule dans notre tête. Il y a quelques jours je me suis sentie l’âme courageuse. J’ai chaussé mes bottes et enfilé mes gants et je suis partie désherber derrière le nouveau compost. J’ai tout juste eu le temps de saisir celle qui me trouvait appétissante et la jeter sur le couvercle du compost. Ce petit tentacule déterminé, s’étirait le plus loin possible pour m’atteindre au plus près possible. J’ai tenté de l’écraser sans succès. On dit qu’elles détestent le feu et le sel. Je n’avais ni briquet ni salière mais j’avais… un ciseau. J’ai regardé la sangsue, le ciseau, puis de nouveau la sangsue. Je m’excuse d’avance auprès des âmes sensibles qui pourraient être choquées par mon immense élan de cruauté (et soyons honnête, de curiosité). Me voilà donc en plein film de science-fiction cette fois, où deux petits morceaux de tentacules gigotent devant mes yeux remplis de dégoût et de fascination. Pendant un instant, j’ai cru qu’ils en avaient toujours après moi. Enfin, les deux moignons ont capitulé.
A côté de tout ça, les araignées et les serpents me laissent totalement indifférente.