La cabane au fond du jardin

Aurélie alias "Oh really"Le terrain, Les chantiers

Chacun son tour. Moi qui étais toute fière d’avoir échappé au Covid-19 pendant si longtemps, me voilà en isolement pour au moins sept jours. J’avais un mauvais pressentiment en allant au travail ce matin. Comme je travaille pour une maison de retraite, je dois être testée tous les jours avant de commencer mon service. J’avais un peu le nez qui coulait mais rien de bien différent de mes réactions allergiques à la moisissure des climats tropicaux et aux acariens qui adorent l’humidité et la chaleur. Le pressentiment venait du chatouillement dans la gorge et du fait que mon beau-père avait été testé positif dix jours plutôt. Quand j’ai vu mon test, j’ai juré trois fois (en anglais), j’ai eu droit à un test PCR sur le champ puis on m’a gentiment priée de rentrer chez moi.
Une fois à la maison, on a testé tout le monde. Simon : négatif. Louis : positif. Ça tombait plutôt mal pour diverses raisons. J’imagine que ce n’est jamais vraiment le bon moment. Ça aurait pu être pire, j'aurais été anéantie si c’était arrivé juste avant mon départ pour la France. Et oui c’est officiel : 3 mois en France de juin à septembre !!! Moi toute seule avec mon petit Louis. Beaucoup d’aventures en perspective…

Je profite ainsi des longues siestes de Louis pour raconter les dernières nouvelles de ma vie d’expatriée.

Dans les épisodes précédents, j’expliquais que notre petite cabane sur Airbnb avait dû être retirée du site Internet parce qu’elle ne remplissait pas les critères de location touristique requis par la municipalité (le Council comme on l’appelle ici). Nous y avions entreposé un tas d’encombrants et laissé le lieu à l’abandon. Les fourmis ont vite colonisé la structure inhabitée. Des herbes folles se sont répandues sur le parterre en galets tout autour.

Et puis un soir, alors que nous évoquions une possible réorientation ou du moins un complément de revenu généré par d’éventuelles leçons de français, l’idée nous est venue que nous pourrions utiliser la cabane comme bureau. Simon pourrait s’isoler pour travailler sur ses sites internet et je pourrais y donner des leçons de français en personne ou en ligne. Et c’est ainsi que nous avons donné une seconde vie à notre petit nid de passage.

Au fur et à mesure que nous mettions de l'ordre dans la cabane, nous avons réalisé l'étendue des travaux. Il y avait au moins deux centimètres de fourmis mortes dans les coins et c’était sans avoir commencé le génocide. Elles avaient fait leurs nids partout, dans le toit et dans les murs. Nous avons donc dû arracher le toit. Les murs étant un assemblement de planches de bois dépareillées, la surface n’était pas lisse. Pour ne pas avoir à refaire les murs - ou autrement dit : pour ne pas tout détruire - Simon a posé du lino sur les murs. Je n’étais pas vraiment convaincue par ce choix mais je dois admettre que le résultat final est satisfaisant. Quatre murs : deux en lino gris et deux en lambris rouges.  Niveau ameublement, Simon a construit un petit bureau sur mesure avec un ordinateur pour que chacun de nous puisse y travailler. Nous avons convenu d’y installer une chambre d’amis si besoin, avec un canapé lit et une table basse. Il ne manque maintenant plus que quelques tableaux sur les murs et des bibelots sur les étagères.

Après la levée des restrictions contre le Covid, l’épidémie a repris de plus belle en Australie. Simon avait dans l’idée que la cabane serait l’endroit parfait pour se confiner si l’un de nous était positif.  C’était sans penser que Louis pouvait aussi avoir le Covid et que la personne non contaminée serait alors la personne qui devait s’isoler. Simon est donc parti faire l’ermite dans la cabane au fond du jardin. Je ne sais pas trop combien de temps il tiendra… (dernière mise à jour : il a tenu une nuit).

Moi je suis partie pour au moins sept jours à la maison. Finalement, c’est enfin l’occasion d’avancer dans un tout autre chantier (mais pas des moindres) : le jardin. Depuis cet été, il a rarement cessé de pleuvoir. D’ailleurs d’importantes inondations ont affecté la Nouvelle Galles du Sud et le Queensland. Avec les quelques éclaircies qui ont percé, ce n’est plus un jardin qui nous entoure mais une véritable jungle. Et qui dit jungle, dit animaux hostiles qui veulent nous ralentir dans notre chantier de débroussaillage. Alors voilà, il y a tout d’abord les fourmis, que j’ai évoquées plus haut. Il y a celles qui sont inoffensives lorsqu’elles sont solitaires mais qui agissent comme une armée redoutable lorsqu’on arrache une racine pile à l’endroit où se trouve leur fourmilière. Et puis il y a les bull ants (fourmis taureaux). Celles-ci pourraient sûrement tuer quelqu’un si la colonie entière attaquait. Une seule piqûre est déjà bien assez douloureuse. Il y a les tiques aussi, particulièrement présentent cette année. Je ne m’étendrai pas trop sur les paper wasps (guêpes papiers) qui apparemment sont encore plus venimeuses que leurs copines les bull ants. Je n’ai jamais été piquée, mais j’ai repéré cette année un grand nombre de nids qu’il a fallu détruire avant qu’ils ne deviennent trop menaçants. La grande gagnante de ma petite liste n’est pourtant pas la plus cruelle. En revanche, elle est fourbe et répugnante. Il s’agit… (roulement de tambour) de la sangsue ! Rien qu’écrire son nom me répugne. Pas plus tard qu’hier, j’en ai aperçu deux collées derrière le genou de Louis. J’ai tellement hurlé que Simon a déboulé tout affolé en pensant que quelque chose de dramatique arrivait. Malgré le petit risque d’infection, elles sont plutôt inoffensives. On les sent à peine mais quand on les aperçoit sur nous c’est tout un visionnage de film d’horreur qui se bouscule dans notre tête. Il y a quelques jours je me suis sentie l’âme courageuse. J’ai chaussé mes bottes et enfilé mes gants et je suis partie désherber derrière le nouveau compost. J’ai tout juste eu le temps de saisir celle qui me trouvait appétissante et la jeter sur le couvercle du compost. Ce petit tentacule déterminé, s’étirait le plus loin possible pour m’atteindre au plus près possible. J’ai tenté de l’écraser sans succès. On dit qu’elles détestent le feu et le sel. Je n’avais ni briquet ni salière mais j’avais… un ciseau. J’ai regardé la sangsue, le ciseau, puis de nouveau la sangsue. Je m’excuse d’avance auprès des âmes sensibles qui pourraient être choquées par mon immense élan de cruauté (et soyons honnête, de curiosité). Me voilà donc en plein film de science-fiction cette fois, où deux petits morceaux de tentacules gigotent devant mes yeux remplis de dégoût et de fascination. Pendant un instant, j’ai cru qu’ils en avaient toujours après moi. Enfin, les deux moignons ont capitulé.

A côté de tout ça, les araignées et les serpents me laissent totalement indifférente.

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Dans les jours à venir, j’ai bon espoir que le soleil renverra toutes ces petites créatures des ténèbres d’où elles viennent et qu’elles me laissent enfin éclaircir de toutes les mauvaises herbes mon jardin de potirons et d’ananas, mon massif de succulentes et mon potager qui a été tristement laissé à l’abandon.

8000 m² de jardin à entretenir, c'est presque un travail à temps plein, surtout avec un tel climat. Je regrette de manquer de temps pour m’occuper du potager. Avec l‘augmentation du prix des légumes, nous n’en avons jamais eu autant besoin. Heureusement, les arbres fruitiers ne demandent pas autant d’attention. Nous avons eu des ananas, des goyaves, des figues, des fruits de la passion, des kakis et nous aurons toutes sortes d’agrumes cet hiver. Nous avons toujours nos poules bien que nous en ayons perdu deux lors de ces six derniers mois. Nos soupçons sur leur disparition s’orientent vers une sorte de varan serial killer endémique de l’Australie – le goanna. Les sept poules restantes pondent tout juste assez d’œufs pour nous et les occupants du Airbnb. Confitures, œufs et pain au levain (après deux ans de pratique et d’échecs), voici les seules provisions sur lesquelles nous pourrions compter en temps de disette ou de pénurie apocalyptique.
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Cela conviendrait parfaitement à Louis car en ce moment j’ai un peu de mal à diversifier son alimentation. Je me demande quel accueil il fera aux fromages parfumés, au boudin noir, au foie de veau ou encore aux rillettes de porc quand il sera en France. Je n’arrive pas à croire, qu’une française de souche et de cœur comme moi, lui fasse des sandwichs au beurre de cacahuète à mettre dans sa « lunch box » quand il va chez la nounou (après avoir dévoré deux Weet-Bix pour le petit déjeuner). Pour éviter qu’il ne devienne la parfaite réplique de Macaulay Culkin, je le bombarde de mots et de phrases en français. Ça donne des combinaisons assez mignonnes comme « I want jouer », « petit digger », « cassé that one », « a bit chaud »… J’ai été prévenue que les premières années à l’école seront celles où les enfants perdent l’intérêt pour leur langue minoritaire. J’essaie donc de tenir le cap. Son immersion en France sera évidemment bénéfique pour améliorer sa capacité à dialoguer en français. Ce qu’il va apprendre, restera je l’espère, quelque part dans un coin de sa mémoire pour toujours.
Nous avons encore deux mois pour apprendre les bases et nous remettre tranquillement du Covid. Nous pourrons ainsi prendre l’avion sereinement sans trop nous inquiéter de voyager avec le virus dans nos valises. Deux mois également pour donner au jardin une allure plus présentable, en essayant d’oublier que j’aurai tout à refaire à mon retour.